Entre Assassins

14 |
Avant ..


Le soleil se couchait à peine quand Lutha avait quitté Makai. Elle avait finit par s'endormir profondément, ses sanglots l'ayant épuisé. Lutha était remonté dans sa chambre, s'était rincé le visage avec de l'eau fraîche et avait passé des vêtements propres. Puis il était descendu dans la chapelle et avait prié durant de longues minutes. Après toutes ces prières dans lesquelles il demandait pardon, Lutha resta quelques instants à regarder le Christ. Au tout début, quand Lutha était entré comme assassin au service de l'Eglise, il était persuadé que tout ce qu'il accomplissait, tous ces crimes, étaient réalisé dans le seul et unique but de rendre service à l'Eglise. Pour la bonne cause en quelque sorte. Mais au fur et à mesure que les années avaient passé, Lutha s'était rendu compte que tous les assassinats, toutes les fautes qu'il avait commise servaient plus les interêts du Pape que sa religion.
Pourtant Lutha restait. Ils étaient quatre assassins en tout. Sur les quatre, Lutha était le seul dont les services étaient volontaires. Il pouvait refuser une mission s'il le voulait. Bien sûr, le Pape le lui ferait payer plus tard, sournoisement, d'une manière ou d'une autre, mais lui pouvait le faire. Mais il s'y refusait. Parce qu'il n'avait que ça et que, surtout, il ne pouvait pas se résoudre à abandonner Makai. Et comme jamais elle n'accepterait de partir avec lui ... . Autant rester pour elle.

Lutha sortit dans l'air frais du soir. Il marcha jusqu'au port de la ville en continuant de tourner et de retourner ses sombres pensées. En s'asseyant sur le pont, le visage de sa dernière victime lui apparut; il l'avait hanté durant tout son voyage et maintenant il lui revenait. Sa dernière victime avait quinze ans. Et il ne s'était même pas défendu. La lame était entré dans sa peau si facilement ... Lutha en avait la nausé.

Lutha perçu rapidement les pas qui s'approchaient de lui. Il reconnut Altaïr à la démache souple. Lutha sourit; on entendait Altaïr que lorsqu'il voulait qu'on l'entende. En temps normal, Lutha était quasiment incapable de percevoir sa présence. Cet homme était plus silencieux qu'une ombre.

Altaïr vint s'asseoir à côté de Lutha et, tout comme lui, plonga ses yeux dans les vagues.

10.

Précédemment...

Après avoir quitté les cachots, et prévenu la relève qu'il n'était pas nécessaire de s'y rendre compte tenu du fait que les nomades avaient déjà succombé, Altaïr décida de se changer un peu les idées. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à sa condition, et à ce qu'il venait de faire. Au passage, il rentra malencontreusement dans la fausse bonne sœur - il le savait mais ne disait rien, sûrement parce qu'elle était incapable d'appliquer un plan qui tienne la route, les siens étaient tous tordus, et puis peut-être parce qu'il l'aimait bien, après tout, elle déréglait un peu la routine de son existence...- qui l'insulta et l'invectiva de tous les noms qui lui passaient par la tête. Marquant une pause, le chef des Assassins adressa un léger mais tout de même audible:


Puis voyant qu'elle continuait d'avancer en vociférant et grommelant par intermittences, il haussa imperceptiblement les épaules et continua son chemin. Il observa un instant les deux montures des nomades, hésitant à les relâcher dans la nature, mais il était évident que si l'on le voyait agir, il n'y aurait pas que lui qui aurait des ennuis, mais Eve en aurait également si l'on remontait la piste jusqu'à elle.
S'approchant tout de même des deux splendides bête dont la robe luisait encore de sueur, et dont les muscles frétillaient d'agacement, il tendit doucement la main devant lui, et sa voix profonde sembla les apaiser. Apparemment intrigués par la forme encapuchonnée, ils dressèrent leurs oreilles, restant tout de même sur leur garde. Le maître Assassin posa délicatement sa main dans l'encolure du plus proche et lui murmura une comptine arabe qu'il n'avait jamais oublié. Une comptine qui disait que l'air du Paradis était celui qui soufflait entre les oreilles d'un cheval, que ces créatures si merveilleuses étaient née des tempêtes de sable.
La voix apaisante et profonde d'Altaïr rendit son calme aux créatures tandis qu'il commença à les panser, en prenant une bonne poignée de paille. Il ne fallait pas que ces bêtes attrapent la mort. Il leur servit un seau d'orge et couvrit le dos de chacun d'une étoffe grossière qui traînait dans les parages, pour prévenir d'un coup de froid.

Puis, fixant l'un des chevaux dans les yeux, sans relâcher l'intensité de son regard, tout comme l'animal, il murmura:


Il inclina alors la tête légèrement comme pour saluer les chevaux et ces derniers semblèrent lui répondre avec respect.
Puis, le chef des Assassins prit la route pour le port de Nurbel, suivit par le Lynx. D'où sortait il, celui-là?


Altaïr, à l'ombre de sa capuche, esquissait un sourire. Il réalisa qu'il parlait à un animal qui ne comprenait sûrement pas ce qu'il lui racontait, mais bon, le métisse avait toujours eu plus d'aisance à s'adresser aux animaux qu'aux hommes.

Ils avancèrent jusqu'au port, et le chef des Assassins remarqua la présence d'un confrère: très facile à reconnaître, puisqu'il connaissait Lutha depuis longtemps déjà et trouvait en lui un frère d'arme plutôt qu'un sous-fifre. Il fit volontairement remarquer sa présence car il n'aimait pas surprendre les gens dans leur intimité, sauf lorsqu'il s'agissait de ses cibles... Mais il s'arrangeait toujours pour rencontrer leur regard avant de faucher leur vie, comme si leur dernière vision était celle de l'Ange de la mort lui-même.
Lutha avait donc deviné sa présence mais resta silencieux. Altaïr vint s'installer à ses côtés, tout aussi muet, Msahba -tout fraîchement baptisé- à distance respectable de ce nouvel individu. Un instant de silence, puis le métisse prit la parole:


Lutha savait de qui il s'agissait et Altaïr connaissait déjà la réponse, il connaissait suffisament Lutha pour dire que Makai comptait énormément pour lui et qu'il ne la laisserait pas seule dans un état d'hytérie.


Puis, fixant l'horizon, il s'adressa une nouvelle fois à son frère d'arme.


Son regard était perceptible, même à travers l'obscurité de sa capuche, et il suffit à Lutha de plonger son regard gris dans celui de son chef pour comprendre le sous-entendu.

15 |



"Elle s'est calmée?"

Sans pour autant se tourner Altaïr, Lutha lui répondit que Makai dormait.

" Bien "

Il eut un quelques secondes de silence durant lesquelles les deux hommes fixèrent l'horizon puis Altaïr reprit:

"Les nomades se sont enfuis."

Cette fois Lutha fit face à son frère d'arme. Il n'eut pas besoin de poser la question qui lui brûlait les lèvres pour comprendre. Les nomades s'étaient enfuis parce qu'on les avait aidé. Lutha plissa les yeux. Pourquoi ?

"Il ne sont pas concernés."

Lutha reporta son regard sur l'horizon. Peut-être bien.

" Dÿel est au courant ? "

Non, bien sûr que non. Ce chien se mêlait de tout ce que pouvait faire ses compagnons assassins; il détestait Altaïr parce qu'il était le chef et il haïssait Lutha parce que ce dernier lui tenait tête.

" Fais en sorte que ce chacal ne l'apprenne pas. "

Altaïr n'était pas idiot, il savait très bien ce qui l'attendait si il désobéissait. Il recevrait des coups de fouets. Dès qu'un assassin désobéissait il était puni par le fouet. Et pour que la punition fasse effet, on voulait que ce soit le chef de la milice qui distribue les coups, peut importe qu'il soit d'accord ou non. C'était ainsi. Lutha en avait pris une fois parce qu'il s'était battu avec Dÿel. Il lui avait fait une profonde entaille à l'épaule et avait faillit lui fracturer le bras, Dÿel l'avait provoqué, il l'avait cherché en insultant Makai. Mais c'était Lutha qui avait été puni. Et il recommençerait si cet ordure s'aventurait de nouveau à insulter la courtisane. Le fouet était dououreux mais ne l'impressionait pas.
Le plus dur le jour où il avait été puni, ç'avait été d'affronter le regard d'Altaïr. Lutha n'avait pas baissé les yeux mais sa fierté avait souffert. Peut-être plus encore que son dos.

" Tu as entendu les bruits qui court depuis peu ? Il paraît que leRoi de Zénobhie à envoyer une troupe de hors la loi chercher le Lys. Combien de temps crois-tu qu'il faudra pour nous envoyer tuer ces gens ? "

Il ne valait mieux pas, non. D'ailleurs, le chef des Assassins sembla grimacer à la remarque. Il avait beau être le supérieur hiérarchique de Dÿel, ce type avait toujours une longueur d'avance sur tout le monde, il était les yeux et les oreilles de Nurbel et aurais très certainement vendu père et mère pour sauver sa peau et obtenir ce qu'il désirait si ardemment, ça, Altaïr en était persuadé. Ce qu'il désirait? Toujours plus de pouvoir, toujours plus de puissance, il ne faisait pas ses missions par obligation, non. Il y prenait un plaisir certain, oui. Altaïr avait déjà vu cette jouissance malsaine, presque animale qu'on pouvait lire dans ses yeux à chacun de ses meurtres.
Il était différent d'eux-autres.


Ni Lutha, ni Makai ne l'appréciait. A vrai dire, il en avait cherché une et avait récolté le châtiment de l'autre.
Si Dÿel apprenait ce qu'il avait fait, il encourait de graves problèmes. Il y avait d'ailleurs bien longtemps que la moitié d'arabe qu'il était n'avait pas goûté au fouet. Comme un tout jeune étalon qu'on domptait à la cravache et aux éperons, Altaïr avait ravalé sa fierté, baissé la tête et s'était retrouvé avec le mors de son filet enfoncé entre ses mâchoires.
Il avait perdu toute liberté. Il n'avait plus de volonté. Plus de réaction.
Plus de sentiments.
Jusqu'à ce début de soirée.
Il avait choisit d'aller contre la volonté de Nurbel. Il s'était dressé contre une volonté supérieur. Anonymement, oui, mais pour combien de temps encore?
Il sentait ce petit quelque chose en lui, comme une once de conscience qui renaîtrait.


Des hors-la-loi pour trouver le Lys? Le Lys. Possédait-il un quelconque pouvoir pour que Nurbel l'ait tant voulu? Pour que Zénohbia veuille à ce point le récupérer?



Il se releva et, esquissant un sourire complice Lutha, il lui répondit:

16.

" Des hors-la-loi... Je pensais qu'il ne s'agissait que de rumeurs... Le Roi de Zénohbia nous envoie les guerriers les plus puissants pour récupérer ce Lys. Puissants, sanguinaires, sans véritable patrie, parait-il. "

Lutha ne répondit rien et Altaïr enchaîna:

" Je pense que nous pourrons bientôt nous préparer, mon ami... Ils n'auront aucun scrupule à nous envoyer à la mort. "

Oui, Altaïr avaient raison. Une fois de plus ils ne seraient que des pions envoyés sur le champ de bataille pour tuer ou être tuer.

" Parfois je me demande à quoi ça sert ce que l'on fait. Au début nous servions les interêts du pays mais aujourd'hui ? "

Lutha se tourna vers son chef. Jamais il ne s'était senti aussi mal; la tristesse crispait ses traits et il était rare de le voir dans cet état. L'assassin ne cherchait même pas à se cacher, ça ne servait à rien. Il était profondément boulversé.

" Il n'avait pas plus de quinze ans, Altaïr. Il n'a pas compris qui j'étais, il ne s'est même pas défendu ... ! "

Puis il baissa les yeux et sa voix se fit beaucoup plus basse, beaucoup plus rauque:

" J'ai du demander cinq fois pardon pour que mes yeux cessent de pleurer "

Et il avait honte, sauf que ça il se garda bien de le dire. Altaïr avait du le percevoir dans sa voix.
Il se passa un instant de silence; plusieurs minutes en fait. Puis, changeant totalement de sujet, Lutha reprit:

" Au fait, d'où sort-elle cette Dhélila ? Elle est arrivée durant mon absence ? Elle a l'air passablement ... comment dire ... décalée ? "

12.

Altaïr écouta silencieusement la confession de son ami. Il comprenait très bien ce qu'il ressentait. Lui-même s'était déjà interrogé sur les assassinats programmés par l'Église. A s'interroger sur lui-même. Les mains des Assassins étaient recouvertes de sang, et ça, même Dieu ne pourrait rien y faire. Ils avaient ôté la vie à des innocents, accusés à tort.

Après un certain temps de silence, durant lequel le chef des Assassins observa son ami, son frère d'arme, Lutha reprit la parole. Leur destin les avait vraiment rapproché, tout au moins leur condition: ils étaient aussi prisonniers l'un que l'autre. Et Lutha, lui, était prisonnier de sa malédiction...


Altaïr esquissa un léger sourire puis répondit, avec une pointe d'amusement dans la voix, en dirigeant son regard vers l'horizon:


après ...